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Qu’est-ce qui pourrait sauver les enfants ? 
par Roxane Volclair
Après huit mois d'enquête sur le service de protection de l'enfance en Norvège, il était temps de se pencher sur la situation dans l'Hexagone. Un modèle qui crie à l'aide, impossible de ne pas l'entendre. Après avoir écouté deux éducatrices spécialisées (cf. podcast Les enfants de personne), nos journalistes ont contacté une avocate et formatrice juridique en droit de l'action sociale et des familles. L'enquête s'élargie, et tente de rendre compte également de la situation dramatique française. 

 

Le service de protection de l’enfance en France fait face à de nombreux problèmes. Le 7 février 2022, la loi Taquet a été promulguée. Elle vise à réduire les creux, à apaiser les douleurs et à réparer les maux. Un baume qui, pour l’instant, n'a pas encore eu le temps de faire effet.  

 

 

Certains décrets de la loi Taquet, promulguée en février 2022, tombent toujours. Le 1er février 2024, c’est l'interdiction de placer des jeunes en hôtel qui a été mise en place. Un bannissement qui arrive tardivement et fait écho au 25 janvier, quand Lily, 15 ans, s’est donné la mort dans un hôtel à Aubière où elle avait été placée. Ce drame fait retentir certains problèmes que le service de protection affronte: un manque d’espace dans les foyers et une déficience sur le suivi des mineurs.

 

Mettre la priorité sur l’enfant : une avancée tardive 

 

C’est pour tenter de pallier ces déficiences que la loi intervient. Elle est dans la continuité de la loi du 14 mars 2016, qui ensemble, petit à petit, mettent le bien-être de l’enfant au centre des priorités. Un des principes fondamentaux de 2022 est celui d’assurer une stabilité pour le mineur, en évitant de le placer en institutions (déjà pleines à craquer), par la recherche de soutien chez un “tiers digne de confiance”. Dorothée Thiollier, avocate et formatrice juridique en droit de l’action sociale et des familles, explique : “Le but est de ne pas placer les enfants en institution, il y a une méfiance à l’encontre de celles-ci. Il faut placer l’enfant dans son entourage, familial ou amical. C’est l’article 1 de la loi.” Le juge de l’enfance doit obligatoirement évaluer s’il y a des ressources au sein de l’environnement du mineur. Faire sortir l’enfant de son foyer familial est une nouveauté. Quand avant, les politiques étaient très axées sur les liens du sang, aujourd’hui les cas de retraits de l’autorité parentale augmentent. L’exemple de Lyes Louffok, militant des droits des enfants et essayiste, qui a publié son autobiographie Dans l’enfer des foyers, démontre que cet accroissement est positif, bien que tardif. L’indépendance devient courante et obligatoire en cas d’inceste. Ce point majeur s'avoisine au modèle norvégien, dont le principe fondamental de la loi est “l’intérêt supérieur de l’enfant”. Dans le nord de l’Europe, les droits des mineurs priment sur ceux des parents. Quand le bien-être de l’enfant est questionné, les séparations familiales sont régulières et les familles d’accueil abondantes. Des défaillances au sein du système sont tout de même à noter, particulièrement sur la surreprésentation des foyers issus de l’immigration et sur une mauvaise gestion après les coupures (une enquête à retrouver sur ce site internet). 

 

Contrat jeune majeur 

 

La loi Taquet vise à réparer d’autres fractures de l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), notamment vis-à-vis des jeunes majeurs sortis de foyer, souvent jetés dans la nature le jour de leurs 18 ans. Près de 25% des SDF sont d’anciens enfants placés en foyer ou dans des familles. Intervient alors le contrat de jeune majeur. “Désormais, il y a l’obligation de prendre en charge ces jeunes adultes, qui n’ont pas de soutien parental ou de ressources suffisantes, de sorte à ce qu’ils puissent continuer à dépendre du département”, explique Dorothée Thiollier. Cet accompagnement se met en place avec une aide au logement, une assistance psychologique et éducative ou bien avec une allocation financière, afin d’encourager les jeunes à s’insérer plus facilement et légèrement. Ce contrat était avant une exception, maintenant il devient le principe. Mais, quid des étrangers ? La loi Immigration promulguée en 2024, exclut les jeunes étrangers sous OQTF d’avoir accès à cet accord. “Ceux qui arrivent mineurs sur le territoire et sont reconnus comme tels, sont administrés par l’ASE et peuvent obtenir ce contrat. Quand il ne sont pas reconnus, c’est là qu’on ressent un vide juridique, ils ne sont pas pris en charge et ça pose problème”, reconnaît l’avocate en droit de l’action sociale. 

 

L’adoption simplifiée 

 

Très souvent, les liens du sang priment encore sur le bien-être du mineur. Se libérer d’une autorité parentale dangereuse est difficile, mais la loi de 2016 a permis l’instauration de la notion de “délaissement parental”. Quand un parent n'entretient pas suffisamment les relations avec son enfant, placé en foyer ou en famille, alors le département est dans l’obligation de “lancer une procédure de délaissement parental qui justifie de mettre l’enfant en adoption simple”, soulève Dorothée Thiollier. 

 

Des limites infranchissables 

 

L’Aide sociale à l’enfance est un terrain boueux semé d'embûches. Vaillants sont ceux qui souhaitent venir en aide. Vaillants, mais rares. Il y a un manque crucial d'administrateurs, c’est un métier précaire, pas forcément attrayant. Ce vide a un impact sur les enfants : ils n’arrivent pas, par manque d’occasion, à tisser des liens avec un éducateur, car ce ne sont quasiment jamais les mêmes. Ce turn-over de personnel influe sur la stabilité de l’enfant. L’Action Educative en Milieu Ouvert, instaurée en 2011 vise à pallier ce vide. Depuis 13 ans, elle prévoit la visite d’éducateurs spécialisés dans des maisons surveillées, où les enfants nécessitent un suivi. La loi Taquet vise à augmenter les rendez-vous, passant d’une fois toutes les trois semaines à un entretien hebdomadaire. 

Nouvel obstacle, que la loi de 2022 ne résout pas, c’est celui de l’handicap.  “Plus d’un tiers des enfants placés ont un handicap, la plupart psychiques. Dans les structures, il n’y a pas forcément de psychologues ni de psychiatre, et les délais de rendez-vous peuvent être de neuf mois, insiste Maître Thiollier, point sur lequel elle est revenue plusieurs fois au téléphone. 

La protection de l’enfance tente d’inclure de plus en plus de monde, elle s’élargit à l’entourage, lance un appel à l’aide. En mars 2024, un “Comité de vigilance” a été lancé, qui regroupe une cinquantaine d’anciens enfants placés. Ils vont surveiller la commission d’enquête lancée par les députés socialistes en début d’année. 

Si des dispositifs sont lancés, la route est encore longue. Presque 3 000 enfants sont à la rue en France, dont presque 700 âgés de moins de 3 ans. Le nombre d’enfants placés est en hausse, la place dans les foyers elle n’augmente pas. Les blessures sont encore trop récentes et importantes, un baume ne suffira pas pour les soigner. 

Les défaillances de Barnevernet

Enquête 360°

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